L'Esprit de Tibhirine by Schumacher Jean-Pierre & Ballet Nicolas

L'Esprit de Tibhirine by Schumacher Jean-Pierre & Ballet Nicolas

Auteur:Schumacher, Jean-Pierre & Ballet, Nicolas [Schumacher, Jean-Pierre & Ballet, Nicolas]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récits, Entretiens, Témoignage
ISBN: 2021085414
Éditeur: Seuil (Éditions du)
Publié: 2012-08-31T23:00:00+00:00


C’est ainsi que Christian de Chergé a été élu pour la première fois prieur en février 1984. Les fondations d’un dialogue avec les musulmans n’en devenaient que plus solides. Déjà, en 1979, Christian avait lancé avec Claude Rault, futur évêque du Sud-Sahara, les Rencontres du Ribât el-Salâm (« lien de la paix ») auxquelles seront bientôt associés quelques mystiques soufis à la suite de ma visite au Centre de formation administrative de Médéa3. Mais à partir de son élection, les initiatives se sont multipliées tous azimuts. En 1986, il a décidé la création d’un potager coopératif. Frère Christophe était responsable de cette petite association mise sur pied avec des voisins musulmans. Quatre jeunes pères de famille recevaient une parcelle de terrain. Nous leur fournissions les engrais, les graines, l’eau… Et ils cultivaient ce jardin. C’est frère Paul qui prenait soin de l’aménagement du système d’irrigation. En fin d’année, nous nous partagions les récoltes. L’année suivante, nous recommencions en programmant ensemble répartition du terrain et cultures à entreprendre. Le partage pouvait aller au-delà, et se poursuivre avec des excursions ou des repas pris en commun dans les champs.

Ces relations avec les habitants étaient très « terre à terre », loin des grands débats théoriques. Leur richesse participait à l’équilibre d’ensemble. Ces personnes du voisinage, qui, vingt ans plus tôt, nous considéraient souvent comme des étrangers, se mettaient à évoquer Tibhirine avec affection : « Notre monastère », disaient les villageois, comme si nous faisions tous partie de la même maison. Tout en restant musulmans, ils aimaient cette présence et elle leur convenait. Après l’indépendance, nous étions les seuls à sonner les cloches en Algérie : dans les mosquées voisines, nous savions que certains imams nous accusaient de propager la « voix du diable ». Mais au milieu des années 1980, la population réglait sa vie sur nos cloches. Des habitants s’étonnaient même parfois : « Comment se fait-il que vous ayez sonné une seule cloche aujourd’hui alors que c’est une fête importante chez vous ? »

L’échange valait dans les deux sens. Nous leur demandions qui était le muezzin du jour et nous efforcions ensuite de reconnaître sa voix, devant eux, les jours suivants. Père Célestin, qui avait le goût de la musique, a eu l’idée de composer un Credo sur le ton de l’appel du muezzin, pour certaines de nos célébrations. La plus belle des conquêtes n’est-elle pas celle du respect mutuel ? Lorsque l’appel du muezzin retentissait dans les mosquées pendant les vêpres, nous aimions interrompre notre office pour ne pas oublier d’être à l’écoute de nos frères en humanité, sans pour autant souscrire à leur profession de foi : cette proposition avait été émise par frère Michel, en 1992.

Parce que nous reconnaissions la valeur de leur prière, les musulmans reconnaissaient aussi la nôtre. À la mort du père Aubin, en mars 1984, nous avons exposé son corps sous le narthex. Des voisins ont défilé à son chevet, attristés. Et ils lui ont baisé le front. Nous avons été bouleversés par ce geste.



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